“Analyses de tendances et sémiologie”

Anthony Mathé - Sémiologue - Semiolab - Blog - Trends

INTERVIEW

« Analyses de tendances et sémiologie »

Isabelle Vidon, membre du comité de l’USAP+, a tenu à en savoir plus sur les métiers des trends et de la sémio en entreprise.

Pour info, cette interview suisse a été donnée à deux voix, en binôme, avec mon amie et collègue Emmanuelle Châtenet de PinkBrain. Cela fait quelques temps qu’on collabore en Romandie et on était très content de partager nos convictions avec l’USAP+.

Voici quelques extraits concernant spécifiquement mon travail d’éclaireur du sens.

[…]

Anthony Mathé, qui êtes-vous ?

A.M. : « Consultant, docteur en sémiologie, conférencier et chercheur sur son temps libre, je suis avant tout un éclaireur du sens. Côté pro, j’aime bien me présenter comme un artisan du sens et de la cohérence. « Le sens », c’est mon point de départ, c’est l’objet que j’étudie, immatériel mais pas intangible. Et la cohérence, c’est un peu le graal, ce après quoi toutes les entreprises courent comme des poules sans tête. Avec un sémiologue, on peut explorer le sens et éclairer les voies pertinentes pour construire sa cohérence. »

Quelle est votre méthodologie ?

A.M. : « La sémiologie est une théorie du langage qui permet d’étudier toutes les formes de sens qui nous permettent de communiquer : les mots, les discours, les textes évidemment, mais aussi les images, les logos, les objets, les packagings, les espaces. Cette même méthode, fondée scientifiquement, me permet d’analyser toutes les expressions de vos marques ou de vos entreprises, afin de comprendre quels messages sont construits, quelle histoire est racontée, quelles valeurs sont proposées. Le bénéfice n’est pas simplement de faire un état des lieux de ce que l’on raconte ; c’est aussi d’identifier des manques, des non-dits et surtout : des potentialités, des idées à valoriser pour se différencier. C’est très concret finalement.

Petite anecdote sur la sémiologie. Est-ce que vous savez que cette discipline a été fondée par un Genevois ? Oui, Ferdinand de Saussure est le fondateur de la sémiologie. Après avoir enseigné au Collège de France, il a révolutionné la linguistique et proposé d’inventer une science qui étudie « la vie des signes au sein de la vie sociale ». Sans Saussure, la linguistique, la sémiologie mais également la psychanalyse, l’anthropologie, l’ethnologie et les sciences sociales auraient un tout autre visage ! Saussure a tout chamboulé. »

 

Comment choisir les bons mots, les bonnes structures de phrase ? Le bon positionnement ?

A.M. : « À question difficile, réponse décalée ! Si vous me permettez, je répondrai à côté. Les bons mots, c’est un point d’arrivée attendu, mais ce n’est pas le bon point de départ. Ce n’est pas la bonne question si vous voulez construire un langage singulier, consistant, impertinent. Il faut prendre les choses à l’envers : la question n’est pas celle des bons mots, mais celles des mots vrais, de votre vérité en tant qu’entreprise, marque ou groupe. Avec Emmanuelle, on prend toujours le temps de demander à nos clients quelle est leur vérité, leur irréductible vérité. Ce qu’ils font, comment, pourquoi. Quand ils nous parlent, j’entends une petite musique, parfois sourde, parfois évidente, et ça, c’est le point de départ pour définir les bons mots car ce seront vos mots, votre capital, peu importe que d’autres les emploient.

Beaucoup d’entreprises et de marques pensent que les bons mots sont ceux à la mode, ou ceux que personnes n’emploient. Et paradoxalement, toutes les entreprises finissent par parler avec les mêmes mots, de la même façon, au même moment. Rien ne ressemble plus à un discours de banque qu’un discours de banque. Tous les grands groupes emploient les mêmes mots pour parler des mêmes idées dans leur communication Corporate. L’erreur à mes yeux, c’est d’oublier que les mots du quotidien, ceux qui renvoient aux métiers, aux valeurs d’entreprise, à la culture d’entreprise ont plus de pertinence et de poids quand on cherche à se présenter et à se raconter.

Et pour ce qui est de la bonne structure de phrase, la syntaxe dépendra de deux choses : qui vous êtes et à qui vous parlez. On part de votre vérité, on identifie la bonne tonalité, la bonne rhétorique, puis on se demande comment la raconter, la déployer en fonction de vos audiences, et des médias par voie de conséquence. Ce n’est pas évident, mais ce serait dommage de parler « à contre-jour » à vos publics (ou de jouer la carte de la généricité et de la platitude).

Si je résume, pour trouver les bons mots, il faut prendre le temps d’enquêter sur les mots de l’entreprise, ses idées, sa vérité et il faut écrire, rédiger et faire des essais pour voir comment formaliser un fil rouge qui soit clair, impertinent et activable. »

 

Outre les signes du langage, quels autres systèmes de signes analysez-vous ?

A.M. : « Dans les années 60, la sémiologie était très utilisée pour étudier les images publicitaires. Beaucoup d’études étaient commanditées – et c’est toujours le cas aujourd’hui – pour évaluer et optimiser les campagnes publicitaires, surtout à l’international.

J’ai une vraie appétence pour les mots, je suis un littéraire de formation et c’est ma bouffée d’air frais au quotidien de prêter ma plume, mais j’avoue que j’ai un autre péché mignon : les objets. J’adore travailler sur des packagings, ce n’est pas simple d’analyser des formes, des matériaux, des couleurs, et c’est qui rend le travail d’expertise palpitant. J’adore explorer les rayons des supermarchés suisses, j’observe les boites conserves, je manipule les derniers produits grand public, premium ou luxe ! Ne m’emmenez pas à la Migros, à la Coop ou chez Sephora, c’est la caverne d’Alibaba des signes pour moi.

D’ailleurs, l’analyse des espaces commerciaux, des boutiques, des corners et des centres commerciaux, c’est aussi une expertise très utile pour évaluer l’expérience retail : on interroge l’ambiance et les imaginaires du lieu, on étudie les expressions de marque via la signalétique et on questionne les différents parcours possibles.

Il y a un autre dernier système de signes, très particulier, totalement à part, qui est une de mes spécialités depuis 15 ans : le monde du luxe. Qu’il s’agisse de couture, de beauté, de joaillerie, d’horlogerie, de maroquinerie ou d’hôtellerie, le luxe est un univers de sens qui me passionne. Je viens de publier un essai sur la mode d’ailleurs.»

 

A l’heure des messages courts sur les réseaux sociaux notamment, quels sont les mots porteurs actuellement et ceux à éviter pour une marque ou une enseigne qui souhaite faire fructifier son capital-sympathie ?

A.M. : « Une chose est sûre, soyez très prudent avec les mots à la mode. Avant d’aller parler de sujets importants aujourd’hui comme « l’inclusivité », « l’égalité », « la transparence » ou le « développement durable » ou de suivre des tendances, vérifiez d’abord que vos actions sont alignées avec ces notions qui sont très surveillées. Ne cherchez pas le bâton pour vous faire battre parce que c’est ce qu’il va se passer.

Pour le capital sympathie, il faut aussi tout simplement faire preuve d’humilité et j’ajouterai de fierté, il faut trouver un juste équilibre. Après des années d’arrogance et de communication top-down, place à un peu d’horizontalité, avec un zeste de passion s’il vous plaît. »

Comment choisir les bons visuels, la bonne signalétique ? Les bonnes couleurs ? Notamment pour tout ce que l’on poste sur les réseaux sociaux ?

A.M. : « Hélas, la règle qu’il faut garder en mémoire, c’est qu’il n’y a pas de règle absolue. La bonne couleur aujourd’hui ne sera pas la bonne couleur dans dix ans. Le sens, le langage, les signes sont soumis au changement. Et ils dépendent crucialement de qui les emploient. »

[…]

Dans la charte rédactionnelle et sémantique que vous proposez à vos clients, y a-t-il des aspects valables pour tous ?

A.M. : « Un aspect est valable pour tous, oui : les mots ne sont pas la dimension centrale d’une bonne charte rédactionnelle et sémantique ! Je passe toujours beaucoup de temps à expliquer que la définition du lexique de l’entreprise n’est pas cruciale et Emmanuelle insiste beaucoup sur ce point. D’autres dimensions sont plus importantes, plus techniques certes, mais plus efficaces, je pense tout particulièrement à la rhétorique et aux figures de style (métaphore, métonymie, etc.).

Par exemple, un client voulait travailler la part d’émotion de son discours et de sa communication et demandait quel lexique des émotions employer. Or, si on employait le lexique des émotions, vous allez tuer toutes les émotions. Il ne faut pas les dire, il faut les faire ressentir et rien n’est plus efficace que la rhétorique pour cela. Pour l’émotion, on explore le champ des métaphores. Pour le désir, on explore le champ des métonymies, et ainsi de suite. Vous savez que la rhétorique est enseignée au lycée et dans toutes les facs américaines, moi ça ne m’étonne pas !

Pour le reste, chaque charte rédactionnelle et sémantique est distincte. C’est un produit sur-mesure en ligne avec la stratégie de l’entreprise. Les règles d’écriture définies ne peuvent pas être les mêmes. Le fil rouge déployé dans toutes les activations part de l’entreprise et forcément, il est à chaque fois différent. »

 

Quels sont les retours de vos clients ? Qu’apprécient-ils particulièrement ?

A.M. : « Je crois que nos clients aiment cette secousse des idées qu’on enclenche. Le sémiologue n’est pas là pour décrire le monde tel que nos clients croient le voir, mais bien pour éclairer ses zones d’ombre, ses contradictions et pour explorer ses forces, ses potentialités. Travailler le sens, c’est travailler le désir. On ne sait pas d’avance où ça va nous mener, ni par quelles étapes il va falloir passer, mais on sait que le résultat, c’est la cohérence d’un langage qui touche au cœur. »

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L’interview complète est accessible ici :

https://usap.ch/analyse-de-tendances-et-semiologie/

 

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