“Le design produit, un média (pas) comme les autres”

Anthony Mathé - Sémiologue - Semiolab - Blog - Visuel - Article Design produit
 

Article scientifique paru dans l’ouvrage « Pratiques émergentes et pensée du médium », sous la direction de Sémir Badir et François Provenzano 

En guise d’extrait, voici l’introduction de mon article :

Parmi les différents objets communicationnels émergents qui circulent dans notre société et qui peuvent être définis comme un média, il en est un qui, parce qu’il passe souvent inaperçu, est peut-être l’un des plus intrigants : il s’agit du design produit, plus communément appelé en entreprise packaging, hyperonyme désignant aussi bien le design du produit que son conditionnement.

Sous des dehors a priori accessibles (pour des raisons commerciales, un produit se doit — généralement — d’être clair et compréhensible en termes de fonctions et de messages), il résiste à l’analyse du fait de sa complexité : le design produit articule en effet plusieurs systèmes langagiers qui ouvrent chacun des possibilités de lecture et ne font sens ensemble, éventuellement, qu’au regard d’une expérience de perception en contexte d’usage et d’une pratique sociale bien définie.

Un emballage, une cannette de bière, un petit pot pour bébé, un flacon de parfum ou même un sac à main construisent du sens par un jeu de syncrétisme qu’il est plus facile de supputer que d’intégrer dans un parcours d’analyse homogène et reconductible. C’est que le produit lui-même ne guide pas toujours l’interprétation : il peut n’être qu’un prétexte à construire une signification qui le déborde. Ce débordement, cette polyphonie, ce processus de co-construction avec l’usager découle directement de sa nature de média.

En l’occurrence, la composante médiatique des produits se révèle comme une clef pour l’interprétation mais peut être aussi une solution marketing : ce sont à la fois des vecteurs de signification (du fait d’un certain mode de structuration de la signification via une temporalité) et des réceptacles de projection de contenus. Nous faisons l’hypothèse que cela marche de concert, selon un mouvement dialectique plutôt que de causalité linéaire, et cherchons à établir un équilibre entre ces deux pôles que sont le « sens construit » et le « sens projeté », la valeur sociale et symbolique d’un produit étant une négociation entre les deux, un sens « co-construit ». Il s’agit d’éviter deux risques : celui de tomber dans la surinterprétation (défaut de projection) et celui qui consiste à neutraliser méthodologiquement l’incidence du contexte sur l’expression (défaut d’immanence).

Les stratèges commerciaux des marques l’ont bien compris : les produits sont l’objet de médiations, de projections de sens et de contenus, sujets à la surinterprétation et à des détournements qui révèlent au grand jour certaines de leurs potentialités. Si le produit est un maillon clef dans une activité symbolique et économique, son apparence demeure un lieu de risques et de défis. L’enjeu se pose en effet à la fois en termes d’image ou de branding et en termes de relation client et de business, au sens strict. On comprend mieux pourquoi analyser un packaging en tant que « média » — et non simplement en tant que « contenant » — fait l’objet de nombreuses demandes d’expertise de la part des entreprises et des cabinets de conseil. C’est cette interrogation proprement stratégique sur la « vie active » des produits que nous souhaitons relayer ici, en reportant le débat sur la méthodologie d’analyse.

Pour cela, le socle de l’analyse sémiotique garde son efficace : sur la base de notre expérience des corpus, il apparaît clairement que le sens des produits se joue en premier lieu dans leur matérialité formelle et par la structuration interne de leurs plans sémantique, symbolique, narratif, rhétorique et esthétique, ainsi que dans leur rapport à l’énonciation de marque. Il y a une temporalité propre à l’usager qui peut être appliquée au design produit. Une fois cela mis en place, il importe toutefois d’ajouter que tout peut encore être remis en jeu, déjoué ou court-circuité, par des réappropriations multiples que l’on ne peut jamais tout à fait anticiper. Certaines peuvent être attendues mais le monde des produits réserve de nombreuses surprises édifiantes.

Tout en capitalisant sur les recherches théoriques les plus récentes en sémiotique de tradition greimassienne, cet exposé propose de partager un protocole d’analyse opérationnel qui a été élaboré en confrontant les savoir-faire sémiotiques aux questions pratiques rencontrées sur le terrain, en entreprise. Notre parti est de focaliser l’attention sur la temporalité de l’expérience même du design produit. Après avoir présenté les principes et les conditions fondamentales de l’analyse (partie 1) et expliqué à l’aide d’un exemple cosmétique la structure d’un protocole adapté au design produit (partie 2), nous proposons une étude de cas (partie 3) portant sur un flacon de parfum féminin pour montrer comment appliquer notre protocole et questionner le design produit en tant que média. Trois temps qui conduisent donc progressivement de la théorie à la pratique.

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